Shaq Fu - La mauvaise réputation


A quoi peut bien tenir la réputation d'un jeu? A bien peu de chose parfois. Prenons le cas édifiant de Shaq Fu. Par quel subterfuge, ce jeu a t'il pu être considéré comme un des pire jeu jamais sorti? Et comment cette histoire a t'elle pu à ce point infusé la conscience commune d'internet pour que tout le monde ressortent cet avis comme parole d'évangile? Il semble que l'exagération suffise pour imprimer durablement les esprits.
Pourtant Shaq Fu n'est pas une immonde daube, loin de là. C'est un jeu qui pêche par un gameplay médiocre, ça on ne peut pas le contredire, mais qui possède de véritable qualité technique. En tout cas, encore bien éloigné d'un jeu véritablement lamentable.

Revenons d'abord à la genèse de ce projet, qui éclaire un peu mieux le résultat final. Un "work in progress" de Sega Mean Machines d’août 1994 réalisé lors d'une présentation du jeu à Paris nous donne quantité d'information à ce sujet.

L'idée de départ provient du producteur d'EA Don Treager qui souhaite profiter de la popularité de Shaquille O'Neal pour sortir un jeu de basket à licence à son nom. Figure très populaire à l'époque, O'Neal a déjà à son actif un film, un album de rap, et la réputation d'une superstar de la NBA dans une équipe jeune et glamour à l'époque, les Orlando Magic. Jusque là rien d'exceptionnel, l'idée de Treager est de proposer un jeu du type "Shaq Vs Jordan" et de profiter des compétences d'EA pour en faire un bon petit jeu de basket. Sauf que Treager se dit que faire un jeu de baston collerait bien à l'image du Shaq, proposition un peu farfelu qui va trouver une réponse positive. O'Neal est un fan de jeu vidéo et il accroche immédiatement à l'idée. De là, Don Treager prend contact avec Delphine Software pour leur proposer de développer le jeu. Le studio français a une excellente réputation et vient d’enchaîner plusieurs succès dont le dernier en date n'est autre que le superbe Flashback, qui avait taper dans l'oeil de Don Treager lors du CES. A cette époque les producteurs, et particulièrement ceux d'un mastodonte tel qu'EA avait carte blanche pour se lancer dans les projets qu'ils souhaitaient et pas mal de moyen à disposition. 
Le Shaq
Chez Delphine on a peut être du talent mais on a jamais développer de jeu de baston. Ils partent d'un postulat simple, s'ils attaquent de front Street Fighter II ou Mortal Kombat ils ont peu de chance de sortir du lot. Ils partent alors de leur savoir faire et plus précisément de ce qui avait était un des point forts de Flashback, la qualité de l'animation. ils trouvent que les jeux de baston sont un peu en retrait sur ce point, alors ils décident de se servir de leurs compétences dans l'animation en rotoscopie pour en faire un des points forts du futur jeu. L'idée de départ est excellente, sauf qu'elle est très contraignante et va totalement orienté le développement. Parce que une animation de grande qualité cela prend de la place, les sprites vont se retrouver réduit. Dany Boolouk, producteur sur le jeu, l'explique très clairement, les sprites de Mortal Kombat font une taille de 100 pixels de haut, ceux de Street Fighter 80, ceux de Shaq Fu en font 70. Et c'est très marquant dans le jeu final, les personnages donnent la sensation d’être vraiment petit. Delphine met le paquet sur la partie animation grâce à la rotoscopie qu'ils maîtrisent à merveille. Ils font appel aux cascadeurs de Rémy Julienne pour proposer un maximum d'animation sur chaque personnage. Les images en dessous montrent les cascadeurs en action avec des déguisements, puisque Delphine utilise directement les images filmés pour travailler dessus grâce à une station de travail Silicon Graphics. Shaq himself va être capturé pour faire ses propres mouvements! D'un point de vue technique, on a toute la panoplie du top niveau du milieu des années 90, tout cela à la main du célèbre Paul Cuisset.
Rotoscopie chez Delphine Software
Si on résume, on a donc une licence forte, un développeur au plus haut de son prestige, des moyens importants, et la volonté de faire un jeu de qualité. Pourtant, le résultat va poser problème. Et Paul Cuisset le reconnait lui même dans une interview rétrospective qu'il a donné pour IG mag (n°16):
"Nous n'étions pas faits pour ce style de jeu, ce n'était pas notre truc. Je pense qu'EA aurait dû choisir une équipe américaine, sûrement plus à l'aise avec ce type de gameplay." 
Alors que vaut réellement Shaq Fu? Il faut je crois séparer la présentation du jeu en deux parties, technique et gameplay pour comprendre au mieux les forces et faiblesses de ce titre.

D'un point de vue technique, Shaq Fu est une réussite. Graphiquement très beau, il a un style très proche des jeux Amiga de l'époque. Les décors sont soignés et riches en couleurs, avec de superbes dégradés. Visuellement, le jeu en impose. La taille des sprites posent par contre problème. Autant pour un jeu d'action ou de plateforme ils seraient parfait, autant pour un Vs fighting ça fait vraiment petit. Par contre, comme on pouvait s'y attendre de la part de Delphine, l'animation est vraiment splendide, parfaitement fluide et hyper détaillée, c'est un régal de voir les combattants en mouvements. Sur la qualité de production, Shaq Fu est quasiment inattaquable, et on peut citer des centaines de jeux beaucoup moins bien réalisés sur 16 bits.

Mais là ou le bas blesse, c'est au niveau du gameplay. Le jeu a des idées mais il est globalement inintéressant à jouer voir frustrant. Je ne suis pas un spécialiste des Vs Fighting, mais ce qui me choque le plus dans le gameplay c'est le manque de fluidité, le jeu semble lourd dans ses déplacements, et les sauts sont insupportables. Ils ont beaucoup trop d'amplitudes et ne sont pas suffisamment contrôlables. En fait, Delphine semble s’être fait prendre à son propre jeu sur l'animation, à vouloir trop détailler les frames, j'ai le sentiment qu'ils n'ont pas su trouver je bon équilibre pour rendre le jeu fluide dans son maniement. Autre exemple similaire, le bouton boost moves qui permet de faire des dash avant ou arrière ou de se protéger contre les attaques magiques, bonne idée! Mais le fait de le mapper sur un bouton alourdit considérablement le gameplay. Si on rajoute des coups spéciaux un peu lourd à sortir, on se rend bien compte que le gameplay n'est pas à la hauteur pour en faire un jeu de baston acceptable.

Pourtant cela suffit il à en faire un des plus mauvais jeux sortis? Je ne crois toujours pas! A ce compte là Mortal Kombat et sa jouabilité d'une rigidité abominable ferait un bon candidat...

Ce qui finalement tue réellement Shaq Fu c'est sa licence même. Voir Shaquille O'Neal se battre avec une alien pratiquant le kung-fu à l'aide de son propre art martial le shaqundo... c'est quand même complètement risible. Et pas franchement cool comparé par exemple à un Mortal Kombat, hautement ridicule si on y réfléchit bien.

Shaq Fu n'est pas un très bon jeu de baston, c'est très clair (sauf pour certain mag de l'époque... particulièrement les français...) mais sa réputation de "plus mauvais jeu de l'histoire" est ridicule. Parce que des vrais daubes sur 16 bits on en trouve très facilement, il suffit juste d'ouvrir le catalogue d'Ocean par exemple! 

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